Celui
qui connaît le travail de Jacques Kaufmann sait à quel point
la brique est présente dans son œuvre. Les amoncellements ou
les agencements de briques saisis lors de déplacements en
Chine révèlent une véritable esthétique, forme naturelle et
pragmatique de l’installation. Ce qui touche le céramiste,
c’est l’évidente beauté du « faire », alors même que le
dispositif et sa mise en œuvre ne visent pas un résultat
plastique. Dans une réinterprétation toute personnelle, sur
la base d’un idéogramme imaginaire Ordre double, il a conçu
une structure qui accueille pêle-mêle des briques gravées,
inspirées d’objets funéraires anciens. Assumant ses sources,
et commentant l’une de ces briques trouvée à Canton
(Guangdong), Kaufmann y perçoit trois niveaux de lecture :
allusion au sacré (signes sanscrits et représentation de
Bouddha), réalité céramique (craquelures de surcuisson) et
présence de l’humain et de son environnement (empreintes des
pattes d’un chat…)
(ill. p. 20). Cette triple référence poussera le céramiste à
décliner sur ses pièces écriture, signes abstraits et
figuration. Un émail vert façon Tang viendra parfaire le
tout.
La conjonction de l’humain et du sacré est une constante
dans l’œuvre de l’artiste. Sous le titre générique Entre
rien et quelque chose, prendre et jeter, on se souviendra de
la série de travaux où de « petites têtes » ont été conçues
en mémoire de milliers d’ouvriers disparus lors de la
réalisation de la sépulture de l’Empereur Qin Shi Huangdi.
En filigrane, un discours sur le pouvoir et ses abus dépasse
de loin les frontières spatiales et temporelles de la Chine.
Kaufmann rend une nouvelle fois hommage à ces céramistes
inconnus. L’œuvre, intitulée Ghosts, est composée de très
fines plaques de porcelaine estampées. Un éclairage indirect
fait apparaître les visages des individus ainsi honorés,
comme si leur esprit s’ancrait dans la matière. Par ce
travail, le céramiste apporte sa contribution aux nombreuses
légendes chinoises selon lesquelles des esprits viennent
tirer les pieds des vivants afin de se rappeler à leur
souvenir, titillant leur conscience.
L’humain et le sacré se rejoignent également au cœur d’un
tout autre travail réalisé avec des dalles de pavement
similaires à celles de la Cité Interdite. Ces plaques
massives, fabriquées sans ménagement, Jacques Kaufmann les a
voulues riches en contrastes, brutes et raffinées à la fois.
La densité de la matière est confrontée à la légèreté – dans
les deux sens du mot ! – d’une estampe japonaise érotique.
L’image et la dalle, traitées avec véhémence, seront tour à
tour soumises à la technologie de pointe : ordinateur,
machines à commande numérique permettant la découpe laser,
jet d’eau à très haute pression, ou encore sablage et
polissage. Tradition métissée de modernité. Cette triple
confrontation – technique, thématique et formelle – donnera
au final sa force à l’œuvre ainsi réalisée.
Sacré ou profane, abstrait ou concret, humain ou industriel,
le signe que traque Jacques Kaufmann est toujours révélateur
d’une énergie dont l’origine est recherchée par le
céramiste.
Par le brassage et la distance à la fois culturelle,
temporelle et spatiale, il vise à lui redonner du sens dans
une forme nouvelle.
JACQUES KAUFMANN
Menacées dans leur site historique, les
briques de Lumu portent toujours haut leur statut de «
briques impériales ». Leur histoire, dimension et masse hors
normes, leur cuisson noire utilisant l’eau pour leur
enfumage, le moyen rudimentaire lié au façonnage (un cadre
de bois, de l’argile molle pressée avec les pieds dans le
moule, etc.), tout est là pour exciter l’imagination du
céramiste. Nous sommes là devant une technologie « fossile »
intacte, datant de l’époque Ming. Découpe laser, découpe par
jet d’eau à haute pression, sablage industriel font partie
de la high-tech contemporaine. Associés à des procédés de
traitement de l’image, ces outils permettent de traduire,
dans le matériau, toutes formes de dessin et de desseins. La
précision et la puissance de l’outil permettent de faire une
dentelle de ce matériau utilisé pour sa résistance par les
empereurs chinois. Un dessin érotique japonais, traité par
voie informatique, associe l’éphémère de la rencontre à la
pérennité du matériau traversé.
Né en 1954 à Casablanca (Maroc). Vit et
travaille en France et en Suisse
Depuis 1994, professeur responsable du département céramique
à
l’École d’Arts Appliqués, Vevey
Membre du Conseil de l’Académie
Internationale de la Céramique (AIC)
Résidences
en Chine
1999
Premier séjour en Chine, visite des principaux lieux de
production
traditionnels et industriels
2003
Séjour de travail à Fuping, Xi’an (Shaanxi), Tangshan
(Hebei), Jingdezhen (Jiangxi)
et
préparation de l’exposition « Beyond Tradition, Three Swiss
Ceramic Artists »
au Musée d’Art du Guangdong, Canton
2004
Fin des travaux pour le Musée d’Art du Guangdong et montage
de l’exposition
2005
Montage d’exposition à la Fine Arts College Gallery,
Université de Shanghai
Collectage
de jarres à Canton, Jingdezhen, Yixing (Jiangsu), pour les «
1000 ans de la Ville d’Aubagne », France
2008
Séjour à Jingdezhen, Shanghai et Xi’an Ces séjours ont donné
lieu à des expositions et des conférences tant en Chine
qu’en Europe.
Expositions
2004
« Beyond Tradition, Three Swiss Ceramic Artists », Guangdong
Museum of Art, Canton
2005
« East looks West », Fine Arts College Gallery, Shanghai
University, Shanghai, Chine
2006
« A faire A suivre », Musée d’art et d’histoire, Neuchâtel,
Suisse
2007 «
Retour de Chine », Biennale de Vallauris, Chapelle de la
Miséricorde et Chapelle Picasso, Vallauris, France
« Têtes
flottantes », Abbaye d’Arthous, Hastingues, France
2009
« Fragments
de mémoire du monde », Galerie Hélène Porée, Paris, France
« Scène du
monde. Dix ans de voyages en Chine », Fondation Baur,
Genève, Suisse
Editions
1999
Ceramic Dialogue, Beijing, Hap Pottery Series N°1
2002
Overseas Contemporary Ceramic Art Classics, Bai Ming,
Jiangxi Fine Art Publications, Chine
2004
World-Famous Ceramic Artists’ Studios, volume of Europe, Bai
Ming, Hebei Fine Arts
Publishing
House, Chine
2005
Beyond tradition, Guangdong Museum of Art, Guangzhou, Chine
East looks
West, Fine Arts College Gallery, Shanghai University,
Shanghai, Chine
« Par tous
les ventres féconds de la terre », J. Kaufmann, Voyage
d’argile, Aubagne, France
2006
Céramique contemporaine, Biennale internationale, Vallauris
2006, Somogy Editions d’art, Paris, France
A faire A
suivre, Philippe Barde et Jacques Kaufmann, Résidences,
Chine 1998-2005,
Installations, Musée d’art et d’histoire, Neuchâtel,
SuisseWorld Contemporary Public Ceramic Art, Zhang Yushan,
Hunan Fine Arts Press, Chine
2007
« À faire, à suivre : la rumeur du monde », C. Andréani,
Revue de la Céramique et du Verre.